La vie jusqu’au bout

Publié par FCV le

La vie jusqu’au bout

Avertissement aux lecteurs ! Je n’écris pas cet article en tant que coach de vie, ni en tant que formatrice. Je relate ici 2 des expériences que j’ai vécues, moi, Patricia, être humain lambda, et que l’on nomme aujourd’hui « accompagnement de fin de vie ».

Mon regard n’est nullement objectif et je ne détiens pas de vérités ! Ces expériences m’ont faite grandir, m’ont enrichie, interpelée, questionnée… J’ai tellement appris !

J’espère que les relater aidera d’autres personnes dans les mêmes situations, que ce soit en tant qu’accompagnant ou accompagné.

Et dans le même temps, ce récit est un mélange de souvenirs et de ce que je suis devenue en passant par ces expériences : en bref je raconte tout cela aujourd’hui, avec le recul et une compréhension plus précise de ce que j’avais réalisé à l’époque intuitivement. Sur le moment, j’ai juste fait comme je le ressentais. Enfin et surtout, je résume en quelques pages des expériences qui se sont déroulées sur plusieurs mois. Je raconte des étapes, ce que j’en ai retenu et ce qui a encore un impact sur moi aujourd’hui.

Ma  « relation » avec la mort et la maladie date de ma naissance, puisqu’on ne savait pas si je vivrais (jusqu’à l’âge de 10 ans !). Ce n’est pas le sujet ici, mais cela éclaire peut-être, un fait : les côtoyer pendant les premières années de ma vie a certainement contribué au côté « naturel » de ma présence au chevet de 2 personnes, qui m’étaient très chères.

MA GRAND-MÈRE

Quand j’avais 20-21 ans, ma grand-mère a eu une hémorragie cérébrale en septembre. Nous l’avons ramenée chez elle pour la soigner, jusqu’en juin de l’année suivante où elle est décédée. Durant tout ce temps, elle est restée allongée sur son lit sans plus pouvoir parler, se nourrir etc. Elle était totalement dépendante de sa famille.

Durant ces longs mois

  • Son regard m’indiquait qu’elle était bel et bien là ! Parfois il pétillait, parfois, il disait sa lassitude ou sa souffrance, mais il était très « vivant » ! Même si elle ne pouvait pas me répondre, je lui parlais, et nos communications pouvaient être très joyeuses, même lorsque je la nourrissais comme on nourrit un enfant, ce qui ne devait pas être évident à vivre pour elle. Je transformais ce moment en normalité légère et en rires… En fait je souriais beaucoup et je sentais qu’elle recevait tout mon amour… En plus de mes autres états émotionnels, mais cela je l’ai su beaucoup plus tard.

Je conseille le livre de Jill Bolte Taylor «Voyage  au-delà de mon cerveau », où cette neuroanatomiste américaine raconte son AVC et toutes ses pensées bien présentes, alors que le langage était absent.

Le corps de ma grand-mère évidemment déclinait, mais quand je la regardais dans les yeux, je n’avais aucun doute sur sa présence ! Cela m’a interrogée : comment quelqu’un qui a perdu beaucoup de ses capacités, peut être autant là ???

  • J’ai été très en colère ! Avec le recul, c’était le moyen pour moi de ne pas sombrer dans le désespoir de la mort à venir de ma grand-mère. Et sa maladie et son décès ont été l’occasion pour tous les non-dits, les comportements familiaux inadéquats et peu plaisants de faire surface… Alors je me suis accrochée à ma colère contre des membres de ma famille pour ne pas faiblir ou pleurer : je voulais être là pour elle ! Son état n’était pas facile pour elle à vivre, ni à accepter, je n’allais pas lui ajouter le mien !
  • J’ai souhaité sa mort. J’aurais voulu qu’elle guérisse, mais c’était impossible ! Elle avait une pile au cœur, et c’est la pile qui a ajourné son décès : cela faisait longtemps qu’elle était prête et que son corps faiblissait. J’ai alors pensé : « arrête d’être égoïste et de ne penser qu’à toi en la retenant affectivement ». Il était temps de la laisser partir et dans ma tête, j’ai demandé sa délivrance, car je sentais inconsciemment qu’on la retenait tous…

L’entre deux

Je lis beaucoup de livres sur l’accompagnement de fin de vie (Elisabeth Kubler-Ross et d’autres…), sur des témoignages de personnes qu’on a ranimées. Je visite des personnes de mon entourage malades et une chose me frappe. L’un d’entre eux me dit :

« C’est important d’avoir une personne qui nous aime à nos côtés, même si on est dans les vaps, même si on est en quelque sorte absent. Pas quelqu’un qui a peur, car sinon on passe son temps à faire semblant pour la rassurer et on a autre chose à faire ! Ou alors sa peur augmente la nôtre. On ne peut pas se reposer vraiment. Juste une personne aimante. Quand quelqu’un rentre dans la chambre ou tape à la porte avant d’entrer, on a peur de ce qui va se passer ou de ce qu’on va nous annoncer. Si quelqu’un d’aimant se trouve à côté de nous, on peut dormir vraiment ou se laisser aller…  Cette présence rassure : on n’est pas seul pour affronter !»

Je lis aussi, que les personnes affaiblies sont beaucoup plus sensibles émotionnellement : elles captent en quelque sorte notre état d’esprit. Peut-être que la souffrance annihile le mental…  c’est compliqué de réfléchir, quand on souffre.

Alors je m’en veux de ma colère pendant l’accompagnement de ma grand-mère. Mais je ne savais pas : peut-on s’en vouloir de quelque chose que l’on ne sait pas ? Et même si, peut-on s’en vouloir d’être en colère ?

UN AMI TRÈS CHER

Environ 10 ans après le décès de ma grand-mère, un ami très proche est hospitalisé dans un état grave. Là je suis différente : j’ai eu une 1ère expérience et j’ai plus de connaissances. Le témoignage cité plus haut m’a marquée et m’est précieux. Je vais faire cela pour lui : juste être une présence aimante. Moi qui parle beaucoup je vais me taire et être juste là.

Le 1er jour d’hospitalisation il a une autre visite en même temps que moi. Lorsque cette personne s’en va, il me dit qu’elle a peur, qu’il le sent. Je retiens. Cela confirme ce qu’on m’a déjà dit. Les filtres ont sauté et il n’hésite pas à me dire ses ressentis : cash ! La politesse et les tournures de mots pour ne pas heurter l’autre, il n’en a pas le temps ni l’envie ! Son énergie est mobilisée ailleurs. Je ne veux pas lui faire subir mon état émotionnel, ni mes peurs. Je vais arrêter de projeter et vivre chaque jour, chaque minute l’une après l’autre. Ni positive, ni négative, juste être.

Pour cela :

  • Je le tue. Je veux me débarrasser de cette peur de le perdre ou de cette envie qu’il guérisse, alors j’affronte et dans ma tête, il meurt… Et je pleure toutes les larmes de mon corps. Je laisse les sanglots m’emporter jusqu’à trop de fatigue pour continuer de pleurer. Je ne veux pas retenir mon chagrin en sa présence, alors je le vis. Et je ressors de cette épreuve apaisée. Il peut mourir, il peut vivre : je n’ai plus d’avis dessus. D’autant plus que sa situation est due aussi à un choix de sa part de ne plus se soigner. Sa maladie est incurable et il ne veut pas passer ses derniers « temps » dans les effets secondaires des médicaments, qui de toute façon ne le guériront pas. Je respecte cela.

Je hurle chez moi mon désaccord et ma colère. Ils se sont exprimés, je n’ai plus besoin de trouver quelqu’un qui me servira d’occasion de l’exprimer violemment… Et je ne risque pas de le polluer avec tout cela. Je ne m’oublie pas dans cette histoire, mais je choisis d’exprimer mes ressentis en dehors de mes moments avec lui, en amont, jusqu’au moment où la colère s’épuise d’être exprimée etc. A ce stade, je n’ai plus d’idée sur ce qui est bon ou pas bon pour lui ou pour moi.

  • Je stoppe un maximum mon mental.

Au bord de son lit, je laisse « passer » mes pensées (pas facile au départ), puis petit à petit elles sont de moins en moins nombreuses : sans le savoir je pratique la méditation. Car j’ai testé plusieurs fois avant de me rendre à l’évidence : si je suis « négative », quand il dort son sommeil est agité ; dès que je m’apaise, son sommeil se calme. C’est comme si, plus je suis juste là, plus nous sommes « connectés » à un niveau que je ne comprends pas. Aucune importance : je le constate, je ne vais pas attendre de comprendre ce qui se passe pour agir dans le bon sens.

Quand je ne travaille pas, chez moi, je joue aux jeux de cartes sur mon ordinateur. Tout est en place pour ne pas trop penser, ni dans un sens ni dans un autre.

Et l’incroyable se produit. D’abord ce regard incroyable de vie qui outrepasse ce corps qui s’affaiblit. Parfois nous discutons : de la vie, de la mort, du passé… aucun sujet tabou. Tout peut être dit ou abordé, mais je le laisse décider des sujets. S’il veut parler de ses peurs, on en parle. S’il veut parler de ses croyances ou des miennes, on en parle. Et si je sens qu’il veut parler mais qu’il n’ose pas, je parle la première. S’il ne veut pas parler, on vit le silence.

Parfois, il dort et je reste à ses côtés : comme un veilleur. Si quelqu’un frappe à la porte, je suis là. Parfois la communication se fait par des massages que je lui dispense pour le soulager. Plus le temps passe, plus il dort et je suis juste là, comme en contemplation.

Plusieurs fois pendant ces 3 mois, les médecins disent qu’il ne sera peut-être plus là demain. Mais cela ne correspond pas à ce que je ressens. Je ne sais pas comment je le sais, mais je le sais. Et chaque fois le lendemain, il est toujours là. Et dans le même temps je ne sais rien ! Du coup tout est possible.

Jusqu’au jour où j’ai senti que je ne le reverrai plus le lendemain. Sans le savoir, nous nous étions accompagnés mutuellement. Moi, je l’ai soutenu et ai été une amie sur laquelle il a pu se « reposer ». Lui m’a permis d’accepter l’inacceptable et m’a aidé à le laisser partir.

Alors je lui dis au revoir, qu’il peut partir et lâcher. Je le dis silencieusement car je suis convaincue qu’il sait et qu’il m’entend.

Le lendemain, on m’appelle à 6 heures du matin : il n’en a plus pour très longtemps. Il décède alors que je me rends à l’hôpital. Pas grave : nous nous sommes déjà dit au revoir. Je ne pleure pas car j’ai fait tout ce qui était possible pour moi de faire. Et je suis apaisée… Tout comme lui l’était avant de partir.

Beaucoup de « choses étonnantes » se sont passées, mais elles ne sont pas le sujet de cet écrit.

L’APRÈS

Qui a été l’accompagnant ? Ni moi ni eux ! Et les 2, nous nous sommes accompagnés, ensemble et séparément, dans une transformation mutuelle.

Suite à ce dernier évènement, la méditation pratiquée sans le savoir, a eu des effets, auxquels je ne m’attendais pas… Mais c’est un autre sujet.

En ce qui me concerne, avoir été là pour eux, s’est avéré être une transformation intérieure puissante : je me suis reconnectée à la personne que j’étais réellement, en vivant le présent intensément à ma juste place. Une fois la reconnexion faite, le cheminement à suivre se traçait tout seul, même si cela a pris des années et que ce n’est pas terminé !

Une chose est sûre : à aucun moment je n’ai eu la sensation de moments morbides. Oh bien sûr ce n’était pas évident tous les jours, les corps faiblissaient et l’image des êtres chers changeaient. Mais leurs yeux ! Il émanait d’eux une énergie inconnue et une présence très vivante jusqu’au bout. Là étaient les personnes que j’avais toujours connues. J’ai appris à voir au-delà des apparences.

Si vous vous trouvez dans cette situation en tant que malade ou en tant qu’accompagnant, même non professionnel, un seul conseil me vient : soyez juste là, vous entièrement dans le présent, avec vos défauts et vos qualités, votre vécu et celui de l’autre. Faites confiance à vos ressentis à chaque instant T, et laissez-vous porter. Cela suffira…

La plupart des gens nomment ces moments « fin de vie » … Et cela me donne une image de quelque chose, qui s’éteint petit à petit.

Moi, j’ai plutôt la sensation d’avoir eu le privilège d’assister (à) la vie jusqu’au bout.

Texte  Patricia VERNERET – Coach de vie

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