Transfert ? Vous avez dit transfert ?

Publié par FCV le

TRANSFERT ? VOUS AVEZ DIT TRANSFERT ?

OU COMMENT LE COACH DE VIE EST CONVIE A UNE HISTOIRE QUI N’EST PAS LA SIENNE…

« Face à ce client rien ne se passe, ça ne le fait pas ! » s’exclame Mélanie B. jeune coach de vie. « Rien ne se passe, le client tourne en rond, il s’échappe je ne sais où dès que quelque chose de significatif émerge, il passe d’une demande à une autre, s’éparpille et revient à la séance suivante avec de nouvelles espérances qui, rapidement, font place à une insatisfaction, voire un mécontentement. Aucun objectif ne parvient à se poser». Mélanie B., déconfite, désemparée, évoque en supervision ces premières séances avec ce client. En proie au doute, elle se désole de son manque de savoir-faire et exprime la crainte de ne pas être à la hauteur malgré toute la bonne volonté qu’elle déploie. « Ca ne prend pas ! » dit-elle. « Qu’est-ce qui prend et ne prend pas ? » répondis-je. « Face à ce client, le lien ne prend pas et nous tournons à vide » insiste-t-elle avec inquiétude et découragement. Mélanie B. est dépitée et elle se sent impuissante. « Je ne parviens pas à faciliter le mouvement et plus je suis soucieuse de le relancer, plus le client s’immobilise. Que dois-je faire ? ».

Mélanie B. est insécurisée dans sa pratique, déstabilisée, au point d’émettre des réticences sur sa capacité à être coach de vie. Elle est à la fois sur la défensive et prête à jeter l’éponge. Elle est, face à moi, sans recours, au bout de ses ressources. « Je ne suis pas la coach de vie qu’il faut pour ce client » annonce-t-elle avec une pointe de désespérance dans la voix. « En es-tu si sûre ? » répondis-je. « Peut-être même ne suis-je pas faite pour ce métier ! » insiste-t-elle sans prêter attention à mes propos.

Et c’est ainsi que le symptôme du client, dans sa façon récurrente d’aborder un projet en s’éparpillant, de vivre au quotidien ses répétitions relationnelles et comportementales, domine. L’obsession de celui-ci : avoir le dernier mot dans cette histoire ! Et surtout, que rien ne change ! Une dernière estocade de sa part et le coach de vie rendra rapidement les armes. La dernière exclamation de Mélanie B. l’atteste…

Mélanie B. est hors d’elle, hors de chez elle. Depuis le début de la mission, face à ce client, a-t-elle été une seule fois chez elle, en elle, dans son corps, entière, centrée et ancrée ? D’ailleurs, elle répète souvent l’expression « face à ce client ». Le coach de vie se doit-il d’être face au client ou à ses côtés ? Mélanie B. est ébranlée par ce que la rencontre avec ce client réveille brutalement en elle. Les voies d’accès à son intérieur se sont fermées. La disponibilité, la présence, l’écoute, la neutralité bienveillante, ont depuis la toute première séance, disparues. Mélanie B. a reçu en pleine face une charge émotionnelle qui l’a désarçonné au plus profond d’elle-même. Et depuis, elle court après le symptôme de son client, cherche à y répondre, à le réparer comme si sa propre histoire en dépendait. L’histoire du client fait inconsciemment écho à la sienne et Mélanie B. vit quelque chose d’insupportable. Elle tend une main aidante au symptôme en oubliant d’entendre le client dans ce qu’il dit et ne dit pas, dans ce qu’il fait et ne fait pas.

TENDRE UNE MAIN AIDANTE AU SYMPTÔME, C’EST PRENDRE LE RISQUE D’OUBLIER D’ENTENDRE LE CLIENT

En fait, Mélanie B. est prise au piège de sa propre histoire par procuration. Piégée par son ombre, par son inconscient soudainement réveillé. Elle superpose au récit du client ses propres fragilités. Elle n’accepte pas les hésitations, voire les errances de son client car celles-ci la renvoie à sa part inachevée en elle. A Mélanie B. aussi il lui arrive, dans sa vie, d’hésiter, de s’éparpiller, d’errer… Et elle n’aime pas cela ! Elle aimerait tant décider rapidement dans son quotidien… Certes, nul n’échappe à son histoire. Se prendre les pieds dedans est courant. Cependant, le métier d’accompagnant coach de vie n’est pas une activité comme les autres. Certes il y a de soi dans la façon d’accompagner et nous accompagnons aussi avec nos faiblesses mais à condition qu’elles soient pointées, conscientisées et traversées (ou en voie d’être déminées). Etre à l’abri d’un violent transfert, c’est ce que tout coach souhaite. Mais rien n’est moins sûr. L’humilité exige la plus vigilante attention à toute situation amenée par un client sur un plateau. Elle contient potentiellement un élément perturbateur pouvant faire vaciller et basculer le coach dans l’histoire du client. Transfert ? Vous avez dit transfert ?

La posture de l’accompagnant coach de vie exige certes d’accueillir mais aussi de tenir, de contenir, de soutenir et d’accepter ce qui est dit par le client comme partie intégrante de son histoire, et seulement de la sienne. Que le coach de vie devienne une oreille attentive, le réceptacle, le témoin bienveillant, celui qui entend sans s’écrouler, sans prendre pour lui ce qui est partagé par le client, est le socle de tout accompagnement.

LE COACH DE VIE EST UN PROFESSIONNEL SECURISANT QUI OSE LA RENCONTRE

POUR LE PLUS GRAND BENEFICE DU CLIENT

Le coach de vie est un professionnel sécurisant qui ose la rencontre et qui reste solidement ancré à côté du client. Celui-ci va tester cette solidité, tenter même de s’en saisir ou de trouver une faille à celle-ci. Afin qu’il aille plus loin dans l’évocation de son sujet, dans son exploration, dans son inconnu, il est capital pour le client qu’il se sente en confiance. Comment pourrait-il progresser s’il ne peut pas compter sur la capacité du coach de vie à résister à sa souffrance, aux diverses stratégies déployées, à l’appel aspirant de son symptôme ? Mon coach va-t-il pouvoir m’accompagner jusqu’au bout de mon histoire, se demande-t-il ? Ne risque-t-il pas de m’abandonner au milieu du gué ? Sera-t-il à la hauteur de son engagement ? Va-t-il confondre mon histoire avec la sienne ? Toutes ces questions, le client se les pose, ne serait-ce qu’inconsciemment…

Le client demande, voire exige de son accompagnant, qu’il ne cède pas à sa première incartade, confrontation directe, défi ou revendication. Le coach de vie doit pouvoir contenir « les trous d’air », les périodes revendicatrices, voire les multiples lancés « de patates chaudes » de la part du client. Cette fiabilité de la posture du coach de vie, c’est-à-dire cette capacité « à tenir bon » aux côtés du client est sans cesse à nourrir et à ajuster. Comment l’étayer cette posture ? Aucun savoir ne peut garantir le sans faute. La réponse à cette question est à la hauteur de l’implication du coach de vie à se laisser questionner sans relâche, à réajuster la posture à chaque instant, à reconsidérer l’éthique à la lumière des vécus, à reconsidérer la proximité à l’autre comme un chantier inachevable…

S’impliquer dans l’histoire du client, chercher à résoudre la demande qui l’agite, le délester d’un poids considéré comme trop lourd, lui éviter de répéter les mêmes erreurs, c’est assurément s’engager dans une impasse. La conséquence première du transfert est de flouter les positions respectives, du coach de vie comme celles du client, et de les rendre confusantes. Le brouillard s’installe et ce phénomène transférentiel domine la relation. Transférer ses émois, c’est-à-dire déplacer des clichés de son passé dans l’histoire présente du client c’est ce que Mélanie B. a vécu. Le risque est de laisser la demande du client entrer en résonnance avec l’histoire du coach de vie. Le transfert insiste précisément là ou subsiste une faille chez l’accompagnant, et tôt ou tard « ça coince, ça tourne en rond ». Mélanie B. a été ainsi entraînée dans la grande lessiveuse du transfert et chaque protagoniste est mouillé jusqu’à la tête !

N’oublions pas que si le coach de vie travaille avec le transfert (comment faire autrement !) il n’a pas à agir sur le transfert, ce qui est la grande affaire du psy ! La pratique de l’accompagnement n’est pas la levée des refoulements et des manques. Le coach de vie se doit de repérer les transferts existants en lui pour ne pas sombrer avec eux. Tout au plus, lorsqu’un transfert est repéré, il devient source de réflexion et de questionnement pour le coach lui-même.

Mélanie B., suite à sa supervision, a revisité sa posture, a reconsidéré et incarné autrement sa place de coach de vie et a pris de la hauteur avec son histoire. En infléchissant et en réorientant l’exercice de son accompagnement, Mélanie B. a modifié le regard posé sur le client et occupe, dorénavant, une place différente. Elle peut ainsi accepter d’être la dépositaire ponctuelle d’une demande, d’un désir, d’un projet sans se laisser entraîner dans une histoire à laquelle elle est conviée mais qui n’est pas la sienne.

Depuis, Mélanie B. continue l’accompagnement de ce même client. Elle se tient dans une proximité bienveillante et vigilante, à ses côtés. Elle s’enrichit de ce partage. Elle l’accompagne dans la résolution de ce qui est devenu clairement « l’histoire du client ». Celui-ci avance avec ses seules idées et initiatives, trouve des réponses, progresse avec autonomie et agit en tant que sujet acteur et auteur de ses solutions. Depuis que Mélanie B. a réinvestit sa posture de coach de vie, « son chez elle en elle » et le client ne tourne plus en rond…

Roger DAULIN

 

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